À travers cette interview, Isabelle Andréani partage son expérience influente à l’École Supérieure d’Art Dramatique de Paris, où elle a été exposée à une variété de mentors inspirants. Sa passion pour la mise en scène s’est développée au fil des années, marquée par des moments mémorables avec des figures emblématiques comme Ariane Mnouchkine et Xavier Lemaire. Elle aborde avec enthousiasme le défi des rôles classiques et contemporains, tout en exprimant sa préférence pour le coup de cœur dans le choix de ses projets. Actuellement, la comédienne est en tournée avec “Un Cœur Simple” et “Rentrée 42, Bienvenue les enfants”.
L’INTERVIEW
Djazia Ahrénds Benhabilés : Comment l’expérience à l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Paris a-t-elle influencé votre approche en tant que comédienne et metteur en scène ?
Isabelle Andréani: Pour commencer, j’ai adoré ces trois années passées à l’ESAD : la multiplicité des intervenants sur plusieurs mois se rajoutait auxprofesseurs permanents, ce qui donnait déjà une idée du métier : « devoir s’adapter à des metteurs en scène différents. »
En exemple, Jacques Seiler, ce grand comédien et metteur en scène m’a apporté un regard évident sur le théâtre contemporain comme Dubillard ; il y a eu Laurence Bourdil, comédienne puissante et son passage de relai sur les Troyennes d’Euripide ; Roland Bertinet son approche si humaine de la tragédie, ou encore Régis Santon, Danièle Lebrun, Jean-Pierre Martino, et j’en oublie…
Concernant la mise en scène, c’est Françoise Seigner, qui –après avoir vu ma 1ère scène du Mariage de Figaro – m’a demandé pourquoi jene travaillais pas l’Acte 1 en entier, plutôt qu’une unique scène… Et me voilà un pied dans la mise en scène, grâce à elle !
Quels aspects de la Pétillante Soubrette de Carlo Goldoni vous ont inspiré pour la mettre en scène en 1997 ?
C’était une évidence : ma 3ème mise en scène a été cette pièce peu connue de Goldoni avec beaucoup de personnages, je l’ai adapté pour 8 comédienn(e)s. C’est l’histoire d’Argentina, une soubrette qui va aller jusqu’au bout de ses ambitions. Ce fort caractère utilise tous les moyens pour arriver ses fins et se marier avec son maître, afin de s’élever socialement. Il faut replacer la pièce dans l’époque où il n’y avait pas d’autres moyens pour une femme pour réussir à s’émanciper.
La mise en scène était dans l’esprit de la Commedia Dell’ Arte, avec tous les personnages traditionnels. Comme j’aibeaucoup travaillé, le masque avec notammentMario Gonzalez et Ariane Mnouchkine, mon personnage de soubrette était masqué, unmélange de Zanni et d’Arlequin, en féminin
Pouvez-vous partager un moment particulièrement mémorable de votre carrière jusqu’à présent ?
Ho… ! Il y en a tellement…Pour commencer, lors du stage au Théâtre du Soleil, nous étions très nombreux, malgré plusieurs étapes d’auditions. Nous passions tous en improvisation – concoctée au préalableà plusieurs, masqués des personnages de la Commedia ou des masques venant d’Inde. Regarder travailler les autres était très formateur et instructif mais l’occasion de travailler en direct avec Ariane Mnouchkine a été un moment suspendu. Les participants ne se connaissaient pas la plupart du temps et ne parlaient souvent pas la même langue. Parfois, les impros partaient dans tous les sens, et quelquefois, « le théâtre était là », c’était inouï ! Au moment du passage de mon groupe très nombreux et très polyglotte, Ariane a interpellé mon personnage que je proposais (qui refusait tout, de rage et de colère), j’ai compris comme il se transformait sous ses mots, sous son regard, sous ses remarques.Ariane s’amusait, comme une enfant auxcheveux gris, à le regarder naitre, grandir et s’épanouir sous ses conseils, sous ses remontrances aussi.
Dans le public, les 400 stagiaires : des centaines de paires d’yeux me regardaient, et Ariane-intense– était totalement avec mon personnage.
J’ai compris très vite qu’il fallait donner, tenir, lâcher et surtout écouter : Ariane a l’art d’accueillir les gens comme les personnages, avec beaucoup de générosité et d’exigences.Cette séance de travail m’a appris tellement…Et j’ajoute aussi ma rencontre avec Xavier Lemaire, avec qui nous partageons depuis 21 ans, un « compagnonnage théâtral ». A ce jour, 11 pièces sous sa direction : « Adam, Eve et descendances… » ; « Il faut qu’une porte soit ou ouverte ou fermée » ; « Le jeu de l’amour et du hasard » ; « L’échange » ; « Qui es-tu Fritz Haber ? » ; « La mère confidente » ; « Zigzag » ; « Un cœur simple » ; « Là-bas, de l’autre côté de l’eau » ; « Madame Ming » ; « Rentrée 42, Bienvenue les enfants ! ». Ces pièces qui se sont jouées souvent plusieurs centaines de fois…Et je ne compte pas les innombrables lectures et évènements culturels…. Cette rencontre, c’est comme si c’était hier et c’est un vrai bonheur de partager tout cela avec ce grand homme passionné et passionnant!
Comment décririez-vous votre style de mise en scène et en quoi diffère-t-il d’une pièce à l’autre ?
Pour la pièce de Goldoni, « La Pétillante Soubrette », c’était une envie de ma part, une nécessité de la monter et je m’en suis donnéeles moyens. J’avais fait beaucoup de Commedia Dell’Arte, et j’ai inscrit cette mise en scène dans un esprit traditionnel et épuré avec une direction d’acteur très précise. Ensuite, pour la pièce « A contre-voix » d’Elisabeh Bouchaud ( qui dirige désormais le théâtre de la Reine Blanche), c’est elle-même,en voyant mon « Mariage de Figaro », qui en me faisant confiance, m’a proposé de la mettre en scène au côté d’une autre comédienne, l’histoire d’un duo d’amitié et de déchirement. C’est une écriture contemporaine avec deux personnages forts, il était nécessaire d’être dans un décor plutôt réaliste et de peaufiner la direction d’actrices.
En résumé, j’essaye d’associer de ce que je ressens de l’auteur à travers mon prisme et mon idée de mise en scène
« Qui es-tu Fritz Haber ? » a remporté le Coup de Cœur de la Presse au Festival Off D’Avignon 2013. Qu’est-ce qui a rendu ce spectacle spécial à vos yeux ?
Interpréter un personnage qui a réellement existé est une grande responsabilité, sans compter dans la mise en scène de & avec Xavier Lemaire, dans une direction d’acteur très forte. La pièce de Claude Cohen relatait les dernières heures de ce couple méconnu du grand public Fritz Haber et de sa femme Clara Immerwahr : lui, chimiste renommé et Clara, travaillant dans son ombre et qui a contribué à son parcours, sans aucun doute ! Cette interprétation était comme un devoir de mémoire à l’égard cette femme. Ce spectacle a donc reçu ce Prix du Coup de Cœur de la Presse, ce qui a déclenché d’innombrables dates de tournée et une reprise assez longue au Théâtre du Poche-Montparnasse, en 2013. Ce texte était très éprouvant à jouer, mais il était important pour faire connaitre l’histoire de Clara Immerwahr.
En tant que metteur en scène, comment choisissez-vous les projets sur lesquels vous souhaitez travailler ? Vous arrive-t-il de refuser des projets ?
Le choix d’un projet est et restera toujours un coup de cœur, une nécessité ! La mise en scène est ma deuxième casquette, je suis avant tout une interprète, comédienne dans l’âme et ça passe en priorité. Pour répondre à la 2ème question ; oui, j’ai refusé quelques mises en scène, justement parce qu’il n’y avait pas ce fameux « coup de cœur » ou même, le temps nécessaire à consacrer à ce projet
Quelle a été votre approche pour adapter et mettre en scène « Un Cœur Simple » en 2018 ?
Je pensais avoir lu tout Flaubert ou presque, mais UN CŒUR SIMPLE m’avait échappée.En lisant cette nouvelle, tirée des « Trois contes » en 2015, j’ai totalement fondue pour le personnage de Félicité, et j’aurais adoré en faire un film. J’ai donc pris mon crayon et en l’adaptant, j’ai passé le récit de Flaubert dansune parole à la 1ère personne, pour le théâtre. Et sous les encouragements de Xavier Lemaire, j’ai terminé l’adaptation. Et ce n’est moi mais c’est Xavier Lemaire qui a pris à bras-le-corps la mise en scène, à la fois épurée et très vivante. L’approche de cette œuvre a été –encore une fois– commune : respect de l’auteur et de ses mots, s’inspirer de l’énergie du personnage, de l’empathie qu’elle a pour les autres, de sa vie qui est le véritable récit de la vie de nos arrières-arrières-arrières grand-mères…
En tant que comédienne, comment abordez-vous la création de personnages dans des pièces classiques versus des œuvres contemporaines ?
C’est assez différent : pour les classiques, je m’appuie sur la vision du metteur en scène, ce qu’il insuffle, le prisme par lequel nous allons regarder ensemble cette œuvre. Le texte est fondamental. En revanche, pour les pièces contemporaines, et surtout si on a la chance d’avoir « l’auteur vivant » avec nous, (et encore plus de créer la pièce, c’est toujours un honneur !), alors on s’appuie sur des discussions avec lui et le metteur en scène. C’est très enrichissant que lepersonnage ait des appuis précis, une colonne vertébrale évidente, et qu’il puisse proposer des petits changements à l’auteur.
Comme point commun, « classique ou contemporain », je m’appuie sur mon instinct. J’ai refusé des rôles qui m’ont été proposé parce que je savais instinctivement que ce rôle n’était pas pour moi
Comment gérez-vous l’équilibre entre des rôles classiques et des créations plus contemporaines dans votre carrière ?
J’adore passer de l’un à l’autre, franchement c’est jouissif. Ce n’est pas le même rapport aux mots, et à l’auteur, s’il est vivant et si on peut l’avoir sous le coude, pour des éclaircissements. Mais, le référent reste « le ou la metteur ( e ) en scène » qui donnera l’éclairage du rôle.
Quelle a été la principale leçon que vous avez apprise en travaillant avec la Compagnie Les Larrons et Xavier Lemaire?
Avec les productions de la Compagnie Les Larrons, nous pouvons jouer plusieurs pièces différentes sur la même période (un peu comme à la Comédie Française) donc on apprend l’endurance, la disponibilité…Et aussi croire en des projets fous, à des rôles que je n’aurais jamais pu imaginer interpréter. Xavier Lemaire est une force tranquille qui vous emmène très loin. Il est un directeur d’acteurs incroyable et nous dirige non pas à la réplique ou à l’humeur, il façonne notre personnage, nous savons où nous allons du début à la fin de la pièce. Et puis il a l’art de fédérer l’équipe et ça, c’est une qualité extrême pour un metteur en scène ! Une fois la distribution établie, on avance ensemble, on s’aide, on s’épaule : c’est vraiment très agréable
En quoi consiste le défi de jouer un seul(e) en scène, comme dans « un Cœur Simple » pour lequel vous avez été nominée aux MOLIERES en 2019 ?
« Un défi », c’est vraiment çà : j’ai le trac depuis le début de ma carrière, mais avec un seul (e) en scène, le tract devient vertigineux. Je viens tout juste de jouer la 415èmereprésentation en tournée (et ce n’est encore pas fini, je le souhaite !) mais le tract reste intact. Mon défi a été de ne pas ennuyer le public, rendre vivante la moindre virgule, l’habiter charnellement, physiquement…Un seul ( e ) en scène demande à être en osmose avec le public, respirer avec lui… et le jouer notamment, durant 5 ans au Poche Montparnasse a été délicieux. Je ne pensais pas le continuer si longtemps. Je l’ai mis en stand-bye pour quelques mois mais prête à le reprendre dès demain. Ce rôle est inépuisable ! Et cette nomination a été comme la « cerise sur le gâteau » !
Comment votre passion pour la mise en scène a-t-elle évolué depuis vos débuts en 1997 avec « La Pétillante Soubrette jusqu’à votre récente réalisation : « Madame Ming » en 2022 ?
Tout d’abord, un petit rectificatif : pour « Madame Ming », je n’étais qu’interprète en jouant le rôle éponyme ; la réalisation totale du projet est celle de Xavier Lemaire ainsi que pour l’adaptation du texte d’Eric-Emmanuel Schmitt. Sa mise en scène ingénieuse (choix de ces escaliers, lieu de passage) et son choix des interprètes, notamment la divine Elsa Moatti, violoniste-soliste, pour la musique et le rôle d’Irène ; le virtuose Benjamin Egner dans celui d’un trader en pleine réflexion sur sa vie, ainsi que l’incroyable Pascale Blaison, à la création totale des marionnettes, à la manipulation si complexe et le rôle de Ting-Ting.
Pour répondre à la question, cela fait un moment que je n’ai pas fait de mises en scène, j’ai joué tellement de pièces de théâtre en même temps, matériellement je n’ai pas eu le temps. Et puis, être aux côtés d’un metteur en scène formidable comme Xavier Lemaire, cela me plait de le voir travailler et d’admirer ses réalisations
Ou peut-on vous applaudir actuellement ou prochainement ?
Et bien, nous sommes sur la tournée d’un Cœur Simple, qui se prolongera la Saison prochaine 2024-2025…Et aussi et surtout, la tournée de « Rentrée 42, Bienvenue les enfants » de Pierre-Olivier Scotto et Xavier Lemaire, jusqu’en juin, puis reprise au Festival d’Avignon 2024 du 29 juin au 21 juillet, au théâtre de La Luna, à 16h30 (relâche les mercredis)
Ensuite, une reprise à Paris : à partir du 05 septembre 2024 au Théâtre de la Comédie Bastille, du mercredi au dimanche… au moins jusqu’en janvier 2025. Je vous donne rendez-vous au Théâtre avec bonheur !