Frantz Morel à l’Huissier a débuté aux côtés d’Annie Cordy dans la comédie musicale « Envoyez-la Musique! » à l’âge de dix ans. Après des débuts à la télévision, il a été formé à l’« École du Passage » dirigée par Niels Arestrup. Sa collaboration avec le metteur en scène Ned Grujic a marqué son parcours, participant à plusieurs mises en scène, dont « Rhinocéros » et « Sherlock Holmes et le chien des Baskerville ». En 2008, il a créé son propre spectacle musical, « Mr aime les maudits », explorant un répertoire de chansons fantastiques. Au fil des années, il a enrichi sa formation avec divers mentors, montrant un engagement continu envers son art
Comment votre expérience dans des mises en scène variées, telles que “Rhinocéros” et “Le Barbier de Séville”, a-t-elle influencé votre approche en tant que metteur en scène et acteur au sein de votre compagnie, Les Tréteaux de la Pleine Lune?
Tout d’abord je me permets un petit rectificatif. La compagnie « Les Tréteaux de la Pleine lune » est la compagnie du metteur en scène Ned GRUJIC, que j’ai rencontré il y a près de 30 ans ! J’ai découvert son travail par sa mise en scène de « La nuit des rois » au Jardin Shakespeare, un théâtre végétal dans le boix de Boulogne. J’ai eu un véritable coup de foudre. J’y suis retourné 5 fois et comme nous avions une amie en commun, j’ai pu le connaitre mieux et une grande amitié s’en est suivie qui perdure encore aujourd’hui.
Très tôt j’avais déjà dans la tête des idées de mises en scène, mais ma rencontre avec Ned a été déterminante car grâce a lui, qui était un vrai passionné comme moi, j’ai découvert des très grands metteurs en scène : Giorgio Strehler par exemple ou encore Ariane Mnouchkine. Ned est un grand faiseur d’images et je pense qu’un metteur en scène, c’est quelqu’un qui va justement chercher à créer des images que le public n’oubliera pas. Des images qui bien sur reflètent ce qu’il a voulu exprimer à travers l’oeuvre qu’il a choisi de monter. Cette image n’est pas seulement visuelle, pour moi elle est totalement organique et multi-sensorielle, car elle inclut des sons, des voix, du souffle, des battements de coeur. En parallèle des rôles que j’ai eu le plaisir d’endosser sous la direction de Ned, je me suis impliqué dans le développement de sa compagnie. Je crois profondément au travail d’équipe. Nous avons pendant une douzaine d’années traversés beaucoup d’aventures ensemble. Je citerai notamment les spectacles que nous avons fait au Théâtre 13 et notre rencontre avec Colette Nucci, qui était une femme passionnée
En 2008, vous avez créé votre propre spectacle musical, “Mr aime les maudits”. Pouvez-vous nous parler de l’inspiration derrière ce projet et de son impact sur votre parcours artistique?
Ce spectacle a été monté sous la direction de Jessica Saraf. J’ai commencé à prendre des cours de chant au Studio des Variétés en 2003 et Jessica a été celle qui m’a révélé ma vraie voix. Le travail vocal je pense est une découverte très intime de soi-même… parfois difficile et perturbant mais passionnant. J’ai voulu devenir artiste très tôt en admirant les artistes de Music Hall comme Annie Cordy (que j’ai eu la chance de rencontrer et avec qui j’ai travaillé pendant 2 ans quand j’avais 10 ans). J’étais fasciné par la capacité de ces artistes à être complet : Chant, Comédie, Danse… Annie et le film « Chantons sous la Pluie » ont été mes plus grands catalyseurs dans mon désir d’être comédien/chanteur. C’est tout naturellement qu’au fur et à mesure des séances avec Jessica, qui est aussi comédienne et chanteuse, j’ai travaillé des chansons qui étaient souvent des chansons très théâtrales. Et bien sur, comme au théâtre, les personnages les plus intéressants à jouer ne sont pas les jeunes premiers… Ce sont les « maudits » : les marginaux, les méchants, les gueules cassés, les loufoques, les barrés… Nous avons donc monté un tour de chant décalé, dont les chansons s’inscrivaient dans une théâtralité forte : Idylle en Forêts sur Landru de Francis Blanche, Monsieur William de Ferré, La fiancée du Pirate de Kurt Weill mais aussi des chansons plus comiques comme Les Haricots de Bourvil ou encore Quand mon 6’35 me fait les yeux doux de Serge Gainsbourg. Ce spectacle n’a pas beaucoup été exploité, mais il m’a permis de me construire un univers musical que je revendique encore aujourd’hui. Vous savez je dis toujours qu’un spectacle, c’est un peu comme « La Belle au bois Dormant ». Qui sait si un jour je ne vais pas le réveiller!
Comment avez-vous intégré la danse, les claquettes, et d’autres disciplines artistiques dans vos projets, notamment dans la comédie musicale “Frankenstein Junior” et votre spectacle “Mr aime les maudits »?
Comme je l’ai dit plus haut, ayant toujours été fasciné par le Music-Hall, c’était une envie, un rêve que de pouvoir non seulement être capable de chanter, jouer la comédie mais aussi danser et faire des claquettes. La danse, c’est arrivé très tôt. Je ne me considère par comme un danseur car d’une part je n’ai pas une formation assez étendue (et Dieu sait si la danse est exigeante) et que je n’avais pas non plus envie d’être danseur. Mais comme je suis très souple depuis toujours, et que je suis un garçon (toujours trop rare dans les cours de danse), je me souviens qu’une professeure de Danse contemporaine quand j’étais en primaire m’avait demandé de venir prendre des cours… Et ça s’est reproduit après une colonie de vacances, où une professeure de danse m’avait demandé d’intégrer pour quelques mois ces cours de danse classique. Au sein de la Compagnie des Tréteaux de la pleine lune, Ned a monté beaucoup de spectacle pluridisciplinaire donc c’est tout naturellement et avec un grand plaisir que j’ai peu travailler avec des chorégraphes dont Frankie Game (qui était une brillante claquettiste) et Philippe Bonhommeau (qui assure la mise en corps sur “Roseamry Lovelace”) que j’ai rencontré en 2012 sur la comédie musicale Frankenstein Junior. Travailler sur ce musical a été un vrai défi puisque j’ai du apprendre je ne sais combien de chorégraphies en 5 jours car c’était une reprise de rôles (Ziggy, l’idiot du village). Philippe travaillait sur un autre Musical donc j’ai du le voir 1h ou 1h30 , environ 3 jours, puis je me suis enfermé tout seul tout un week end ou j’ai du perdre un os tellement je n’ai pas arrêté de danser… Mais le challenge était tellement motivant, il est vrai que travailler sur une oeuvre aussi drôle et baroque, signée du grand Mel Brooks avec des partenaires prestigieux comme Vincent Heden, Alexandre Faitrouni, Valérie Zaccomer…. C’était absolument génial
En tant que formateur en Théâtre et comédie musicale, comment abordez-vous le développement artistique et personnel de vos élèves au cours de vos ateliers et stages?
Ce que j’essaie de communiquer avant tout c’est la passion que j’ai pour ce métier. Je pense que si on n’est pas passionné, il ne faut pas aborder une carrière artistique. Toutefois, je leur dis également qu’il faut savoir faire la part des choses, pratiquer la distanciation entre qui nous sommes dans l’intimité, l’artiste que l’on est, et le personnage que l’on doit interpréter. Bien sur que les frontières sont parfois très fines, mais il faut savoir identifier ce qui est de l’ordre du quotidien et ce qui est de l’ordre du théâtre.Les jeunes arrivent souvent en mélangeant tout. Je leur dit qu’un artiste, c’est aussi un être humain, qui, même s’il entretient avec son métier un rapport passionnel, doit vivre ses propres expériences, qui doit savoir observer ses ressentis, observer les autres aussi, les comportements, être curieux de tout. Profiter de ce que l’accès à toutes formes artistiques soit aujourd’hui très facile pour apprendre, découvrir… Se former un goût pour les choses, un intérêt pour tel ou tel courant d’art. Plus un artiste est nourri plus, à mon sens, il pourra puiser dans ce capital pour créer de belles choses. Je pense qu’il ne faut pas trop intellectualiser quand on crée quelque chose. Il faut laisser la place au corps, aux émotions que l’on ressent et s’accorder du temps. Ce qui n’est pas forcément facile aujourd’hui tant les temps de répétitions sont de plus en plus courts. Il faut aussi savoir apréhender le fait qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, et que c’est aussi bien comme cela, malgré les échecs qui font parti de tout parcours d’artiste. Ne pas être paresseux aussi… Savoir travailler et donner le meilleur de soi-même c ‘est se prémunir contre la culpabilité qui nous envahit quand on n’accède pas à ce que l’on veut. Au moins avoir la sensation que si au final on n’est pas pris pour un rôle, ça n’est pas parce qu’on a été mauvais, mais tout simplement parce que des facteurs dont nous n’avons pas les clefs n’ont pas été réunis
Vous avez coadapté le roman “Les Mystères de Paris” en 2003 pour une comédie musicale. Pouvez-vous partager votre expérience de ce processus créatif et son lien avec l’association humanitaire Les Enfants d’Arlequin?
Adapter les Mystères de Paris, c’était ma première véritable expérience d’écriture pour la scène (j’ai notamment depuis adapté en français les comédies musicales , « Moulin Rouge », « &Juliet » ). Comment transcrire un roman énorme en spectacle de 2h15 ! C’est Ned Grujic, qui mettait en scène le spectacle qui m’a demandé de la faire car Jean-Claude Grégoire qui dirigeait cette association (qui n’est malheureusement plus là aujourd’hui) lui en avait fait la commande. J’ai adapté le Llvret, Ned lui a écrit les paroles des chansons, la musique ayant été confiée à Thérèse Werner. Nous avons donc travaillé ensemble. Le fait que les recettes de ce spectacle étaient destinées à aider des enfants confrontés à de graves situations donnait une valeur spéciale à ce projet. Nous y avons donc mis beaucoup de coeur. De plus l’œuvre d’Eugène Sue (qui a inspiré Victor Hugo pour les Misérables) n’était pas dépourvus de matière, que ce soit en personnages savoureux, en situations intenses tragiques ou comiques, et ce fut donc un plaisir de travailler dessus. J’avais en plus la mission d’interpréter Rodolphe, le rôle masculin principal donc pour moi, c’était un peu une expérience à 360 degrés!
En 2013-2014, vous avez remporté les P’tits MOLIERES pour le Meilleur Seul en Scène avec “L’Homme en Morceaux”. Comment avez-vous préparé ce rôle et quel impact cela a-t-il eu sur votre carrière?
Diana Ringel a été, tout comme l’a été Ned, une rencontre déterminante dans mon parcours. C’est une femme et une artiste rare, une « sorcière » comme je l’ai appelé affectueusement car elle a le don pour sortir ce qu’il y a de meilleur, de plus pur et de plus intense en vous. Je l’ai rencontré lors de ma formation à l’Ecole du Passage qui était dirigée par Niels Arestrup. Cette école avait la particularité de réunir dans son équipe de formateurs, des personnalités venant du monde entier. Nous avions donc affaire a une transmission riche car au delà des techniques enseignée, des outils que l’on nous donnait il y avait aussi le prisme de la culture par laquelle ces informations nous arrivaient. Entre 1992 et 1994, j’ai donc suivi les cours de Diana et j’en avais gardé de souvenirs intenses sur le plan des ressentis : Diana est danseuse et comédienne, a été formé une Uruguay d’où elle est originaire, par une chorégraphe et danseuse allemande Inx Bayertal qui était issue du courant Expressionniste Allemand des années 20.Diana nous donnait donc des cours de « Corps » qui consistait à prendre conscience que l’émotion vient toujours du corps et non de la pensée. C’était très intense. Puis 19 ans se sont passées pendant lesquels nous avons chacun suivi notre chemin, et c’est par hasard que je l’ai retrouvé en 2012 quand je jouais Romeo et Juliette au Théâtre 14 sous la direction de Ned Grujic. Elle est venue voir le spetcacle et nous avons renoué. Elle a donné un stage de Théâtre Dansé au Théâtre de Belleville, que j’ai suivi. Et là j’ai eu l’impression de retourner à la maison. Moi meme pendant ces 18 années, j’avais développé un goût particulier pour ce courant artistique qu’est l’expressionnisme, et travailler à nouveau le corps, la danse et le théâtre sous la direction de Diana a été une expérience immense pour moi. Après ce stage, Geneviève Rozental qui dirigeait le Théâtre de L’Aire Falguière, a demandé à Diana de monter le texte d’Elie Georges Berry « L’Homme en Morceaux » et Diana m’a proposé pour l’interpréter. C’était mon premier seul en scène. Je me suis donc glissé dans la peau de Jacques, cet homme brisé par l’abandon de sa femme et sa désillusion du monde, décousu et « en morceaux » avec beaucoup de délectation et dans l’assurance que je serai dirigé de mains de maître par Diana. J’ai adoré jouer ce personnage pour lequel effectivement j’ai remporté le prix « P’tits Molières » en 2014. Ça fait toujours très plaisir de recevoir un prix mais je vois ça comme un marqueur. Je pense qu’il y a beaucoup de très bons comédiens et comédiennes, donc je n’y attache pas beaucoup d’importance. Ce qui m’intéresse c’est d’avancer et de pouvoir encore longtemps continuer à vivre de mon métier
Vous avez dirigé des spectacles variés tels que “Grand Peur et Misère du Troisième Reich” et “Les Femmes Savantes”. Comment choisissez-vous les projets sur lesquels vous souhaitez travailler en tant que metteur en scène?
Je dis toujours que si en lisant une oeuvre, j’ai des images qui me sautent aux yeux, c’est que je peux en faire quelque chose et ça me donne envie. La beauté des mots aussi. Je me souviendrai toujours de ma lecture de « Forêts » de Wajdi Mouawad. Ce que je lisais était tellement beau qu’il fallait que je pose le livre régulièrement pour accuser le coup de ce que je venais de lire : c’était TELLEMENT beau !!! Et j’ai eu envie de la monter, ce que j’ai fait.
Pour le spectacle ROSEMARY LOVELACE FAIT ÇA DEVANT TOUT LE MONDE, c’est l’univers de Barbara Cartland en opposition au répertoire coquin que nous allions utiliser qui m’a inspiré et donné envie de monter un spectacle dessus.
La collaboration avec Diana Ringel sur des projets comme “Juste un Instant” et “L’homme en morceaux” a-t-elle apporté des éléments spécifiques à votre approche artistique?
Comme je le disais plus haut, l’apport de Diana dans mon travail est immense. Autant à 20 ans quand je la fréquentais en tant qu’élève , j’ai été assez idiot pour ne prendre aucune note de ce qu’elle disait. Je peux vous assurer que lorsque je l’ai revu 18 ans plus tard, et qu’elle m’a demandé de l’assister dans des stages, que je me suis rattrapé! Cela s’est poursuivi aussi par des conversations passionnantes, un accès quelle m’a donné à des documents rares qui parlent de l’Expressionnisme Allemand. Je pense que peut-être l’élément le plus essentiel qu’elle m’a apporté , c’est la recherche de la pureté. Dans les lignes, dans la façon d’interpréter les choses (ne pas s’encombrer de l’inutile)
Art Scène Radio : Pouvez-vous partager une anecdote ou un moment mémorable issu de la mise en scène du spectacle musical “Betty Boop contre Spider Girl” de Rosemary Teixeira en 2013?
Frantz Morel à l’Huissier : Ce joli spectacle de cabaret fantastique et étrange, écrit et interprété par Roseamry Teixeira a été une aventure savoureuse. Le moment qui me revient c’est la conception du projet, la fabrication de projections videos qui intervenaient pendant le spectacle. Il y avait des jeux d’ombres, avec des araignées qui apparaissent… Nous avons tourné ces séquences avec peu de moyens mais beaucoup d’inventivité. J’avais l’impression d’être sur un tournage d’Ed Wood ce réalisateur de films de série B dont Tim Burton a fait un film ! Il fallait faire tenir des araignées sur des fils, faire croire qu’elles étaient géantes, qu’elles se baladaient sur un vitrail d’église, qu’elles s’écrasaient su sol… tout le processus de création a été très joyeux et très interessant!
Comment maintenez-vous un équilibre entre votre carrière d’acteur, de metteur en scène, et d’instructeur tout en continuant à explorer de nouveaux projets artistiques comme la reprise de “L’Homme en Morceau” en 2016?
J’ai la chance de m’intéresser à pas mal de disciplines artistiques donc j’éprouve difficilement de la frustration quand je ne joue pas. Même si ces derniers temps, j’aimerai beaucoup avoir l’opportunité de défendre un projet en tant que comédien sur une période suffisamment longue pour rétablir un peu l’équilibre.C’est plutôt le Metteur en scène, le formateur mais aussi l’auteur/adaptateur (j’ai également co-écrit le seul en scène de Fred Faure FINI LA COMÉDIE – Confidences à Dalida, actuellement au Théâtre Montmartre Galabru également) qui ont pris le pas ces dernières années même si ça ne fait pas si longtemps que j’ai joué (Tartuffe en 2022 où je jouais Cléante). J’ai des projets dans mes tiroirs sur lesquels que continue de travailler en espérant pouvoir les faire bientôt découvrir au public
Voudriez-vous nous parler de votre actualité avec notamment Rosemary Lovelace?
Rosemary Lovelace est spectacle que nous avons voulu joyeux et impertinent Marie Charlet et moi-même. Même si j’adore les grandes émotions, les sujets forts, j’aime aussi divertir, entendre les gens rire dans la salle. Rosemary Lovelace est un vecteur parfait pour cela! C’est un véritable plaisir de travailler avec ces deux interprètes que sont Marie Charlet/Roseamry et Anne Cadilhac qui joue Thérèse, la dactylo pianiste insolente! C’est un spectacle dans lequel je crois beaucoup, et nous n’avons pas l’intention de nous arrêter là. Les propositions de spectacle sur Paris sont nombreuses et cela prend du temps de se faire une place, mais « La vieille Rose » comme elle le dit si bien elle-même dans le spectacle, se défend bien et compte bien gravir les marches de la gloire. Donc c’est toujours plus nombreux que nous attendons le public au Théâtre Montmartre Galabru, tous les lundis soir à 19h30 jusqu’au 18 décembre