Comédienne et metteur en scène, Betty Pelissou prend le temps d’arpenter le chemin artistique Au Passage Des Artistes entre deux répétions.
Art Scène Radio : Bonjour Betty Pelissou, je suis ravie de vous accueillir sur les pages du site d’Art scène radio. Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel en tant que comédienne et metteur en scène ?
Betty Pelissou : J’ai monté ma compagnie (La Poqueline) il y a plusieurs années maintenant et j’ai la chance immense de pouvoir défendre des projets, des textes, des auteurs qui me tiennent à coeur. J’ai la chance également de rejoindre régulièrement les projets d’autres compagnies. De tourner aussi, un peu, pour le cinéma et la télévision. Ce qui fait de moi une comédienne comblée et un metteur en scène heureux ! Ce milieu peut être difficile, redoutable même. Je l’ai quitté pendant de (trop) nombreuses années parce que je ne me sentais pas prête à y faire ma place. La question de la légitimité s’est longtemps posée. Depuis que j’ai décidé de reprendre le chemin des planches, j’assume davantage le fait d’être « une vraie comédienne ». Bon, je le dis encore un peu à voix basse et en rougissant, (et parfois même en doutant), mais le progrès en la matière reste considérable!
Art Scène Radio : Qu’est-ce qui vous a inspiré à poursuivre cette carrière dans un domaine, parfois pour ne pas dire très souvent compliqué ?
Betty Pelissou : Choisir un seul métier, une seule voie, une seule vie, c’est quelque chose qui m’a toujours terrorisée. Aujourd’hui encore, je ne comprends pas comment on peut demander à un gamin de dix ou douze ans de choisir « ce qu’il veut faire plus tard. », qui il veut être. Cette injonction si courante me sidère. Moi, je ne voulais pas (et je ne veux toujours pas !) choisir. Je voulais être mille personnes, avoir mille professions, vivre mille amours, mener mille combats. Il n’y a que l’Art pour offrir cette liberté. La danse, le théâtre, la musique, la peinture, c’est être soi et être tous, être ici et là-bas, être maintenant et hier ou demain. C’est avoir la chance de regarder, sentir le monde à travers mille âmes. C’est pour ça que je suis comédienne. Pour vivre une vie différente à chaque représentation
Art Scène Radio : Comment décririez-vous votre approche de la préparation des rôles et des mises en scène, notamment cette “obstination passionnée” dont vous parlez ?
Betty Pelissou : Je suis assez intransigeante sur l’apprentissage du texte. J’impose à mes comédiens de connaître leur texte en arrivant en répétition. Je me l’impose aussi en tant que comédienne. J’ai un mal fou avec ce concept, pourtant répandu, d’arriver sur un plateau pour travailler livret en main. Le texte doit être su, point. Un musicien ne vient pas répéter sans connaître sa partition. C’est la même chose pour nous. Je dis souvent à mes comédiens « One italienne a day keep the metteur en scène furax away » ! C’est peut-être la première facette de mon « obstination passionnée ». Je peux apprendre et faire apprendre un texte sans relâche, jusqu’à ce qu’il soit aussi naturel de le dérouler que de respirer. Une fois les mots imprimés en nous, alors peut commencer le travail sur l’interprétation. Mais à part cette règle précise, j’essaie de ne surtout pas m’en imposer d’autre. Chaque rôle se prépare différemment. Chaque mise en scène aussi. Tout dépend du texte, de l’auteur, des comédiens, des artistes avec qui on collabore. De ce qui résonne en soi aussi au moment d’une création. C’est également en ça qu’il faut une obstination passionnée : chaque nouveau rôle, chaque nouvelle mise en scène remet tout en jeu. Tout ce que l’on croit savoir, tout ce que l’on a déjà fait. C’est un peu comme repartir au combat, tout tenter, tout risquer à chaque projet. Et même peut-être, à chaque représentation
Art Scène Radio : Quels sont les aspects les plus gratifiants de votre métier ? Avez-vous des expériences mémorables que vous aimeriez partager ?
Betty Pelissou : Qu’il est difficile de répondre à cette question ! Il y a tellement de choses gratifiantes dans notre métier !
S’il faut vraiment choisir, je dirais en tant que metteur en scène que le plus gratifiant de tout est d’aider un comédien à grandir, à s’approprier un rôle, un texte. Il y a quelque chose de magique à prendre un comédien par la main pour le mettre sur la route d’un personnage et à la lui lâcher lorsqu’il est prêt, pour qu’il termine le chemin tout seul, à son rythme, à sa façon. Et encore plus lorsqu’au départ, il n’est pas certain d’y arriver. Voir dans un comédien tout ce qu’il pourra donner, tout ce qu’il sera capable d’accomplir avant que lui-même n’en soit convaincu, c’est un sentiment très fort.
En tant que comédienne, ce qu’il y a de plus beau pour moi, c’est réussir à transporter le spectateur vers un ailleurs, lui faire ressentir des émotions inattendues, lui faire entendre des mots qu’il pensait inaccessibles ou même peut-être, inintéressants. Le théâtre se partage. C’est ce partage qui me touche. Je me souviens d’une spectatrice qui, après une représentation du Dernier jour d’une condamnée (d’après l’oeuvre de Victor Hugo), est venue me voir et m’a dit : « Mes parents ont été déportés et exécutés dans un camp soviétique. Maintenant, grâce à vous, je sais exactement ce qu’ils ont ressenti à la fin. Merci pour ça.» Que répondre ? Que dire à une personne qui vous fait une telle confidence, un tel cadeau ? Je ne sais toujours pas aujourd’hui mais jamais je n’oublierai ce que j’ai ressenti à ce moment-là
Art Scène Radio : Vous avez mentionné vos compétences en danse et en chant. Dans quelle mesure ces talents influencent-ils votre travail sur scène ou devant la caméra ?
Betty Pelissou : J’ai débuté par la danse classique. (Mon père voulait faire de moi une danseuse étoile mais je tiens plus, physiquement, du joyeux potimarron que de la Sylphide !) C’est une école fantastique pour apprendre à se placer sur scène ou face caméra, en fonction de la lumière, de ses partenaires de jeu, etc. C’est aussi une formidable école de prise de conscience de son corps, de ce qu’il peut inspirer, refléter, transmettre. Une démarche, un simple mouvement d’épaule ou encore un port de tête, change totalement ce que nous renvoyons à l’autre. Je dis souvent qu’on trouve un personnage à partir du moment où on arrête de le cérébraliser pour le passer dans le corps et dans les tripes.
Quant au chant, ne nous mentons pas, je ne remplirai pas Bercy demain ! Je chante passablement juste ou agréablement faux selon les morceaux. Mais j’y mets un enthousiasme certain ! Et allez comprendre, il se trouve toujours un metteur en scène pour vouloir me faire pousser la chansonnette à un moment ou un autre sur scène. Alors autant y aller joyeusement et avec entrain !
La plus grosse difficulté a été relayée par la classe politique en 2020 : être considéré comme non essentiel.
Art Scène Radio : Pouvez-vous nous parler de votre philosophie artistique et des thèmes qui vous intéressent en tant que metteur en scène ?
Je viens d’un milieu social très (très) défavorisé. Un de ces milieux où le « beau » ne vient qu’après qu’on ait pu trouver comment manger ou se loger. Quand il vient. Et c’est pourtant le « beau » qui m’a sauvée. Le beau d’un livre, d’un ballet vu à la télévision, d’une pièce de théâtre, d’un morceau de musique entendu à la volée, d’un tableau entraperçu dans un bureau. Alors ma « philosophie artistique » est simplement aujourd’hui de transmettre le « beau », l’Art, au plus grand nombre. Sans distinction. Je suis intimement convaincue que les portes des salles de spectacle doivent être ouvertes pour tous.
Un gamin qui grandit dans une cité doit se sentir légitime à venir écouter des alexandrins. Un chirurgien à assister à un concert de métal. Mon boulanger doit avoir eu l’opportunité d’apprendre toute l’oeuvre de Shakespeare ou d’avoir les yeux remplis des couleurs de Dali si le coeur lui en dit. L’Art ne se saucissonne pas et n’appartient pas uniquement à une élite. En tant que metteur en scène, j’essaie de traduire cette conviction par la défense de textes parfois considérés comme « ardus » mais que j’aime à replacer dans des contextes accessibles, où les codes parleront au plus grand nombre. (On pourrait certainement parler de vulgarisation mais ce mot est tellement laid !) Mon « Britannicus » par exemple se situait dans un cabinet d’avocats. Mon « Antigone » sur un échiquier. Et « Hippolyte », une pièce de Robert Garnier de 1573 sur laquelle je travaille actuellement, aura les codes de l’héroïc fantasy et de la SF. L’idée est de faire en sorte que chacun puisse trouver un détail auquel se raccrocher pour se dire : « D’accord, ça je connais, ça me parle, je peux et je vais entendre ce qui se dit sur scène. Et même si je ne saisis pas tout, ce n’est pas grave. Je vais voyager. »
Art Scène Radio : Vous avez évoqué votre aisance avec les animaux sur les tournages. Pouvez-vous partager des anecdotes amusantes ou des expériences mémorables liées à cela ?
Betty Pelissou : En réalité, je suis à l’aise avec les animaux tout le temps et partout, pas uniquement sur scène ou sur les tournages. (Je suis engagée depuis toujours dans la protection animale.) J’aimerais pouvoir vous raconter une anecdote amusante de type « Le chien a mangé mon scénario » ou « Le cheval connaissait mieux son texte que moi », mais jusque là … rien malheureusement !
Travailler avec lui a été (et est toujours) une expérience incroyable. Il partage son talent, son savoir, sa technique sans compter. J’ai appris à chaque répétition.
Art Scène Radio : Pourriez-vous nous parler de votre collaboration avec William Mesguich?
Betty Pelissou : J’ai participé au Festival d’Avignon pour la première fois en 2017 avec « Le dernier jour d’une condamnée. » Et j’ai vite compris que ça n’allait pas être de tout repos puisque j’avais, face à moi, Monsieur William Mesguich dans le même seul-en-scène ! Je me suis alors intéressée à son travail, à son univers et j’ai découvert un artiste extraordinaire, un comédien d’une exigence et d’un talent indiscutables. Avec le temps, j’ai croisé William quelques fois et il a eu l’immense gentillesse de venir me voir sur scène quelques années plus tard, lors d’un Festival d’Avignon toujours, où lui-même jouait au moins quatre fois par jour ! Quand j’ai adapté « Lettre d’une inconnue » de Stefan Zweig, j’ai tout de suite pensé à lui pour la mise en scène. Je lui ai écrit, m’attendant honnêtement à un refus poli, mais contre toute attente … il a accepté ! Je ne pensais pas qu’un comédien et un metteur en scène de sa trempe trouverait le temps ou l’envie de travailler avec une comédienne plus modeste. Je me trompais, William ne juge pas un artiste sur sa renommée. Travailler avec lui a été (et est toujours) une expérience incroyable. Il partage son talent, son savoir, sa technique sans compter. J’ai appris à chaque répétition. J’apprends aussi et encore à chaque implantation technique. Sa passion pour le théâtre, pour le plateau, est réellement contagieuse. Je ne le remercierai jamais assez d’avoir cru en moi et en ce qui est devenu « notre » inconnue
Art Scène Radio : Si vous deviez faire un choix, cinéma ou Théâtre ?
Betty Pelissou : Théâtre ! Sans la moindre hésitation. J’adore tourner, entendons-nous bien ! Mais je ne me sens jamais aussi vivante que lorsque je suis sur scène. Je ne sais pas trop comment expliquer ça …
Art Scène Radio : Est-il difficile de gérer la mise en scène lorsqu’on est également comédienne sur une même pièce ?
Betty Pelissou : Oui, ça peut parfois être un peu compliqué, pour moi en tout cas, d’être à la fois à la mise en scène et au jeu. On peut vite perdre le recul nécessaire, notamment envers soi-même. Mais c’est aussi un exercice passionnant. Une des rares fois dans la vie où l’on est vraiment obligé d’appliquer à soi ce que l’on demande aux autres !
Art Scène Radio : Et si on parlait de : l’Enfant : Elle et Lui ?
« L’Enfant : Elle et Lui » est une pièce portée par la Compagnie Daniko. Son auteur (Nicolas Casas, qui joue également dans la pièce) et son metteur en scène, Benjamin Tanguy, m’ont fait le cadeau de m’offrir le rôle féminin il y a quelques mois maintenant. C’est un défi pour moi : le texte comme la mise en scène sont ultra contemporains. Je sors radicalement de ma zone de confort en interprétant cette femme prête à tout pour avoir un enfant. Nous serons au Clavel à partir du 10 janvier et … j’ai déjà le trac !
Art Scène Radio : Quelle est la difficulté d’un comédien dans l’exercice de son art ( de sa passion) ?
Betty Pelissou : La plus grosse difficulté a été relayée par la classe politique en 2020 : être considéré comme non essentiel. J’ai eu des conversations ubuesques avec des personnes m’assurant pouvoir vivre sans culture, sans Art. (Le fameux : « Ce n’est pas un vrai métier » n’était jamais très loin). C’est quelque chose que je ne comprends pas. Et qui blesse
Art Scène Radio : Avez vous d’autres projets actuellement ?
Betty Pelissou : Plein ! Je travaille actuellement sur la pièce « Hippolyte » de Robert Garnier, en alexandrins et français ancien et pourtant d’une modernité incroyable ! Tout un monde et tout un défi. Mais c’est un texte sublime que mes comédiens et moi avons à coeur de défendre. (Si vous voulez en savoir plus : https://www.proarti.fr/collect/project/hippolyte-le-plus-moderne-des-classiques/0 ).
Et puis mon calendrier est déjà un peu rempli pour cette saison (mais il me reste de la place si vous avez un rôle!):
– La porte à côté (de Fabrice Roger-Lacan) : A La Folie Théâtre, du 1er décembre 2023 au 2 mars 2024, les vendredis et samedis à 21h ;
– L’Enfant : Elle et Lui (de Nicolas Casas) : au Théâtre Clavel, les 10, 17 et 24 janvier 2024 à 19h30 ;
– Antigone (de Sophocle) : A La Folie Théâtre, du 8 février au 21 avril 2024, les jeudis à 19h30 et samedis et dimanches à 18h ;
– Huis Clos (de Sartre) : à la Salle Ronny Coutteur de Seclin (59), le 15 avril 2024 à 20h00 ;
– Le dernier jour d’une condamnée (de Victor Hugo) : au Théâtre Le Petit Manoir d’Asnières, les 9 et 10 mai 2024 à 20h30 ;
– Lettre d’une inconnue (de Stefan Zweig) : pendant tout le Festival d’Avignon 2024, à L’Espace Roseau Teinturiers à 10h00
Art Scène Radio : Betty Pelissou, merci d’avoir pris le temps de passer nous voir . À bientôt sur scène.