
Sous les voûtes du Théâtre des Gémeaux, à 18h10 précises, résonnera durant le mois de juillet l’une des plus puissantes méditations théâtrales du XXe siècle. Le Roi se meurt, chef-d’œuvre d’Eugène Ionesco créé en 1962, revient sur scène dans une nouvelle mise en scène de Christophe Lidon, servie par une distribution de haute volée. Une pièce grave et drôle, lyrique et désarmante, où l’absurde rencontre la vérité nue de la condition humaine.
Le roi Bérenger Ier va mourir. Il le sait, mais refuse de l’admettre. Son royaume se délite, le temps s’accélère, l’univers vacille, mais l’homme, dans sa toute-puissance illusoire, résiste à l’évidence. Entouré de ses deux reines — l’une douce et résignée, l’autre sévère et autoritaire — et de quelques figures de cour, il traverse, non sans fracas, les étapes de son agonie. C’est un effondrement à la fois intime et cosmique, une parabole tragique et cocasse du passage vers la fin.
Christophe Lidon signe une mise en scène limpide et généreuse, où le texte de Ionesco est restitué dans toute sa force poétique et philosophique. Inspirée du Livre des morts tibétain, la pièce est conçue comme un chemin initiatique vers l’acceptation de la mort. Loin d’un drame noir et figé, Le Roi se meurt joue de ruptures de ton, de fulgurances absurdes, de moments d’émotion suspendue. L’humour y affleure sans cesse, grinçant, tendre ou burlesque, comme une façon de tenir à distance l’angoisse pour mieux la regarder en face.
Vincent Lorimy incarne un roi Bérenger bouleversant d’humanité : orgueilleux, capricieux, attendrissant, il traverse avec une rare justesse toutes les nuances de cette lente dépossession. À ses côtés, Valérie Alane et Chloé Berthier forment un duo de reines magnifiquement contrastées, dans un jeu d’équilibre entre raison et passion. Armand Eloi, Thomas Cousseau et Nathalie Lucas complètent cette distribution avec finesse, donnant à chaque personnage une densité et une vérité palpable.
Ce Roi se meurt s’impose comme l’un des moments forts de ce Festival OFF 2025. Non seulement parce qu’il ravive une œuvre essentielle du théâtre contemporain, mais aussi parce qu’il interroge avec une acuité intacte nos illusions de maîtrise et notre rapport au temps, au pouvoir, à l’effacement. Ionesco disait vouloir « libérer de l’angoisse » : ici, il y parvient avec grandeur. Un théâtre qui touche l’âme, sans jamais renoncer à la beauté du geste artistique.
Le Roi se meurt
d’Eugène Ionesco
THEÂTRE DES GEMEAUX – 18h10
Relâches mercredis 9, 16 et 23 juillet 2025
Mise en scène : Christophe Lidon
Avec Valérie Alane, Chloé Berthier, Thomas Cousseau, Armand Eloi, Vincent Lorimy et Nathalie Lucas