Nathalie Lucas et Serge Paumier ont fondé le Théâtre des Gémeaux à Avignon, souhaitant un lieu d’échange et de communication, pas seulement de consommation culturelle. Nathalie, comédienne depuis plus de 34 ans, voulait un théâtre respectueux des artistes et des spectateurs. La création du Théâtre a été un défi complexe, notamment en raison des exigences réglementaires et des contraintes financières. Ils ont mis toutes leurs ressources et ont pris des prêts pour réussir. Nathalie a également dû faire face à des préjugés en tant que femme dans un secteur dominé par les hommes. Malgré ces défis, ils sont fiers de leur programmation et souhaitent offrir aux productions la possibilité de revenir. Leur prochain projet est l’ouverture du Théâtre des Gémeaux Parisiens en septembre 2024, avec l’ambition de stimuler la vie culturelle locale et de rassembler un nouveau public
L’INTERVIEW
Djazia Ahrénds-Benhabilés : Qu’est-ce qui vous a motivés à ouvrir le Théâtre des Gémeaux à Avignon en 2019 ?
Nathalie Lucas – Serge Paumier : Nous cherchions depuis plusieurs mois un théâtre à Avignon pour pouvoir accueillir les spectateurs et les artistes, avec les critères de qualité qui nous semblent importants.En tant que comédienne ( Nathalie) , Depuis plus de 34 ans, j’ai appris à avoir des capacités d’adaptation fortes mais j’avais envie de voir se réaliser ce que j’imaginais être mon Théâtre idéal, celui qui est un lieu d’échange, de communication , et pas seulement un lieu de consommation culturelle.Un lieu qui respecterait les êtres humains appelés à s’y produire, et à découvrir les œuvres produites, un lieu où il serait possible de brasser tous types d’idées. Et puis je suis comédienne ( ajoute Nathalie), donc mon objectif était aussi de pouvoir y jouer les spectacles dans lesquels je joue. Ce qui est le cas, pas systématiquement, parce que j’aime aussi allez jouer chez mes consœurs ou confrères. J’aime aussi allez voir ailleurs. Nous avons choisi tous les deux, de l’appeler Théâtre des Gémeaux, parce que nous sommes tous les deux Gémeaux, et qu’il y a deux salles presque jumelles construites l’une sur l’autre.
J’avais déjà ouvert un Théâtre ( Serge) de 100 places en 1986 à Créteil dans le Val de Marne et j’avais eu beaucoup de joie à accueillir des artistes tels Véronique Vella qui dès l’année suivante rentra à la Comédie Française où elle est toujours
Pouvez-vous nous parler des défis que vous avez rencontrés pour transformer ce lieu vieux de 10 siècles en un Théâtre moderne et confortable ?
La complexité a été de trouver une entreprise compétente. La réalisation de ce Théâtre est un «miracle» à priori impossible. Il est très, très périlleux pour une société, de se retrouver avec des obligations imposées par les bâtiments de France ( pour le respect de l’architecture d’un lieu) , les pompiers ( pour le respect de la sécurité) , la ville ( pour ce qui concerne les agréments), alors même que les obligations spécifiques liées au bâtiment sont en partie inconnues au moment de la signature de l’achat d’un bien, et donc alors même que les accords financiers trouvés auprès de plusieurs banques sont déjà clos et engagés. Le surplus imposé par ces trois institutions au vue de la demande de permis déposé par un architecte, et le surplus financier des entreprises peut très sérieusement mettre en péril la réalisation du projet, voire être totalement inadéquate. C’est ce qui s’est passé pour nous. C’est un miracle que notre société soit encore bien vivante aujourd’hui et que le Théâtre, avec les aléas de la construction soit ouvert. Nous y avons mis toutes nos finances et avons engagé des prêts évidemment. L’un des nombreux défis, est que je suis une femme (Nathalie). Et que la construction est un monde d’hommes, et que de fait, je ne suis jamais prise au sérieux. C’est valable aussi pour le monde de la culture.
J’ai au minimum une anecdote par jour sur ce sujet comme celui ou celle qui ne me voit pas et ne me dit pas bonjour alors que je suis juste à côté de Serge ou dit en parlant à Serge « ton Théâtre » alors que je suis juste à côté. Parfois j’en ri, parfois j’en rage , parfois je m’en moque, mais je ne suis jamais totalement indifférente, car j’y mets toute mon énergie, comme Serge
Comment avez-vous géré la période difficile de l’année blanche 2020 pour votre théâtre ?
La chance que nous avions en 2020, c’est que nous avions déjà une année d’exploitation. Nos deux banques nous ont fait confiance. Psychologiquement, c’était difficile, nous ne savions pas où nous allions et certaines personnes du monde de la culture attaquaient les Théâtres sans avoir connaissance de ce que nous vivions dans les faits, parce que les traites étaient toujours à régler, elles ne s’arrêtaient pas. Par ailleurs, sur le moment, nous n’avions aucune réponse concrète et rassurante à apporter aux artistes.
Quelle est l’importance de l’accueil des comédiens et du public dans votre approche de la gestion du théâtre ?
L’importance de l’accueil des artistes et du public est toujours une question de juste équilibre entre les possibilités d’investissement, qu’il soit financier ou humain. C’est ce qui dirige toute notre action. Concernant notre état d’esprit commun, il nous importe de travailler avec un esprit constructif, de solidarité, d’ingéniosité, de courage, d’ardeur, d’ouverture d’esprit, d’efficacité, de liberté, de gratitude, de présence, d’enthousiasme, d’intuition, de renouveau, de détermination, d’intelligence, de compréhension, de compétence, de prévoyance, de perspicacité, d’abondance, de bien-être…et nous en oublions certainement
Comment choisissez-vous les compagnies et les spectacles qui se produisent aux Gémeaux pendant le Festival d’Avignon ?
Dans l’idéal, nous laissons la possibilité aux productions de revenir une seconde année si elles le souhaitent. En effet, le bouche à oreille des spectacles fait son œuvre auprès du public et des programmateurs qui n’auraient pas eu l’occasion de voir tel ou tel production au Théâtre des Gémeaux d’Avignon. Dans les propositions que nous recevons, nous examinons les sujets des projets des productions qui s’adressent à nous, nous regardons les captations quand il y en a. Nous nous attachons à la qualité de l’écriture de l’auteur, à l’histoire qui est véhiculée, aux sujets de chaque projet, à la qualité des artistes et metteurs en scène, au type de public que le projet touche, à la fiabilité et au professionnalisme des productions qui s’adressent à nous, et puis c’est aussi une question de coup de cœur.
Notre volonté de programmer 50% de metteuses en scène est grandement mise à mal par le peu de propositions qui nous sont faites à leurs sujets, malheureusement. Nous sommes de plus en plus exigeants sur la qualité de la réalisation des projets.
Il est important pour nous que les spectacles accueillis au Théâtre des Gémeaux d’Avignon le soient dans les meilleurs conditions pour le respect du public.
C’est pour cela que nous travaillons dès la signature des contrats à accompagner les productions qui viennent dans nos murs pour qu’elles se préparent au mieux à la grande fête du Festival d’Avignon.
Les investissements de ces productions sont importants et celles-ci méritent que leurs spectacles soient mis en valeur et à l’honneur.
Quels sont les moments forts de l’Avignon OFF 2023 aux Gémeaux que vous attendez avec impatience ?
Nous travaillons toute l’année pour offrir au public une programmation dont nous sommes infiniment fiers. Chaque spectacle est pour nous un voyage à découvrir. L’heure du Festival est l’heure de vérité pour nous deux. Et si cela peut-être l’heure d’abondance, de talents, de joie, d’enthousiasme, de découvertes, de questionnements, d’exploration, de générosité , d’illuminations de plusieurs des spectacles pour notre public, nous en sommes infiniment heureux.
Quels sont les projets futurs que vous aimeriez réaliser avec le Théâtre des Gémeaux, à Avignon ou à Paris
Les projets futurs doivent laisser la place à toutes les qualités déjà précédemment citées pour le Théâtre des Gémeaux Parisiens qui ouvre ses portes le 19 septembre 2024
Quels sont vos objectifs pour le Théâtre des Gémeaux Parisiens et comment envisagez-vous son rôle dans la scène culturelle parisienne
Notre objectif est similaire à celui d’Avignon : ouvrir la curiosité du public avec une programmation éclectique et exigeante. A la différence près, c’est qu’à Paris, nous avons tout un public à conquérir, à rassembler et à fidéliser. C’est pour nous un défi de taille où nous prenons encore tous les risques. Heureusement, nous avons l’extraordinaire chance d’avoir une équipe soudée réunissant les qualités que nous souhaitons véhiculer, que ce soit à Avignon ou à Paris. Ils ont chacun l’énergie nécessaire pour la folie d’une telle entreprise !
Nos souhaits sont de contribuer à stimuler la vitalité et une dynamique culturelle enrichissante pour tous dans l’arrondissement du XXème en attirant de nouveaux spectateurs au théâtre. Notre volonté est de permettre des retombées économiques locales pour les commerçants par l’excellence de ce que nous défendons.
Nous souhaitons faire de ce théâtre un lieu de rassemblement et de cohésion sociale, pour offrir des opportunités d’échanges entre les habitants et les artistes.
En tant que couple dans la vie et partenaires professionnels, comment parvenez-vous à équilibrer votre vie personnelle et votre travail ?
A ce jour, il n’y a pas d’équilibre malheureusement entre les deux. Pour un temps que nous espérons provisoire, nous n’avons pas le temps de partir en vacances, pas même le temps d’un week-end. Nous donnons toute notre énergie pour ces deux Théâtres parce que nous avons choisi en conscience de prendre des risques importants. Nous décidons des choses à deux, que ce soit la gestion ou la programmation. S’il y a un veto pour quelque chose, la chose ne se fait pas. C’est démocratique.
Comment voyez-vous l’évolution de la scène théâtrale française dans les prochaines années?
Cela dépend de l’évolution politique de notre pays. Par expérience , nous savons que les métiers de la scène ont de grosses qualités d’adaptation. Mais rien ne se fait sans finances et sans choix forts, nous en savons quelque chose. Et comme nous aimons à le rappeler pour notre cas, « il faut faire et non pas dire » comme sait encore nous le souffler Molière dans son Don Juan.