Michel Mollard, un auteur et producteur passionné par la musique, la culture chinoise, et la recherche de la vérité artistique, a eu un parcours marqué par des influences variées. Après une formation à l’École Polytechnique et un parcours en sciences économiques, il s’est dirigé vers la culture, notamment en se concentrant sur la musique et le cinéma. Il est particulièrement fasciné par la culture chinoise, en partie grâce à sa relation avec la pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei, et voit en Polytechnique une institution qui encourage la curiosité et l’exploration de divers domaines. Son engagement dans le domaine culturel découle d’une passion pour l’art et d’un désir de lutter contre la politisation et la marchandisation de l’art. Il exprime une profonde aversion pour l’idée que “l’art est politique” et pour la transformation de l’art en simple produit culturel. Ses entreprises, telles que sa maison d’édition Le Condottiere et ses productions au Théâtre des Champs-Elysées, sont guidées par une quête d’authenticité et de vérité artistique. L’inspiration pour sa pièce sur la rencontre entre Romain Rolland et Malwida von Meysenbug est née de son admiration pour Romain Rolland et de l’histoire d’un ami chinois qui, pendant la Révolution culturelle, avait trouvé et conservé une correspondance entre Rolland et von Meysenbug. La relation entre ces deux figures lui permet d’explorer des thèmes qui lui sont chers : la quête de beauté, la vérité artistique, et l’opposition entre l’idéalisme spirituel et les forces matérielles. Pour la reconstitution historique dans sa pièce “Malwida”, l’abondance de lettres échangées entre Rolland et von Meysenbug a facilité son travail, bien que la profondeur émotionnelle de leur relation reste un mystère. Il est fasciné par la capacité de Malwida à incarner un idéal de liberté éclairée, et par son rôle discret mais crucial dans la vie de grands esprits du XIXe siècle.
Lors de la création de la pièce, il a choisi des collaborateurs en fonction de leur capacité à incarner ces figures historiques. Bérengère Dautun, par exemple, a été une évidence pour le rôle de Malwida, tandis qu’Ilyès Bouyenzar, un comédien et pianiste, a été choisi pour incarner Romain Rolland. François Michonneau, qui avait déjà mis en scène une précédente pièce de l’auteur, a également été un choix naturel pour diriger ce projet. Enfin, l’auteur exprime son pessimisme quant à la résonance des idéaux d’universalisme et de quête de vérité dans la société actuelle, mais il espère que sa pièce, et peut-être son adaptation cinématographique, pourront raviver ces idéaux dans l’esprit du public contemporain.
– L’INTERVIEW –
Michel Mollard
Djazia Ahrénds Benhabilés : Comment votre formation à l’École Polytechnique et votre parcours en sciences économiques ont-ils influencé vos premières œuvres littéraires et cinématographiques, notamment celles portant sur la musique et la culture chinoise?
Michel Mollard : Question difficile ! Je suis pianiste depuis mon enfance, j’ai eu la chance de découvrir l’opéra tout jeune (j’avais treize ans lors de mon premier voyage à Bayreuth !) et les horizons lointains – au premier rang desquels la Chine – m’ont toujours fasciné. La découverte de celle-ci, de « cet Autre fondamental sans la rencontre duquel l’Occident ne saurait devenir vraiment conscient des contours et des limites de son Moi culturel » comme le dit si bien Simon Leys, a été pour moi fondamentale. Et puis ma compagne est la pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei. Je serais donc tenté de vous répondre : aucune influence ; mais ce serait injuste : j’ai sûrement une vision marginale de Polytechnique, mais c’est pour moi une école dont la vocation est de vous pousser à vous intéresser à tout, dans la limite, évidemment considérable, de vos talents. Elle a un côté Abbaye de Thélème et je trouve cela formidable.
Qu’est-ce qui vous a poussé, après une carrière (en entreprise) académique et scientifique, à vous investir dans le domaine culturel, et comment ces débuts ont-ils façonné votre approche de l’édition, de la musique, et du cinéma ?
La passion bien sûr, l’idée qu’il faut avoir plusieurs vies, mais plus encore peut-être une forme de militantisme. Je suis effrayé de voir combien depuis une centaine d’années l’art est soumis à deux tendances fatales qui sont des impasses : la politisation et la marchandisation.
Il n’y a rien de plus faux que cette antienne selon laquelle « l’art est politique ». Non, l’art est ailleurs. Comment pourrait-il être grand d’ailleurs s’il était « politique » ? Quant à la marchandisation de l’art et sa transformation en « produits culturels », je trouve cela terrifiant. J’ai dirigé un grand groupe financier, je connais le monde des affaires je crois mieux que la plupart des artistes qui le dénoncent ; je n’y trouve pas une source d’inspiration comme un Michel Vinaver ; je pense seulement qu’il faut lui donner des limites.
Que ce soit avec ma maison d’édition, Le Condottiere, avec mon activité de production de concerts au Théâtre des Champs-Elysées, et bien sûr en tant qu’auteur, une seule idée me guide : la recherche de l’authenticité et de la vérité artistique. Comme le disait André Suarès : « un des pires mensonges sera toujours de prendre le nombre pour la qualité. » Regardez autour de vous : on y est et l’Etat est le premier complice. Quand vous voulez faire de l’argent avec l’art, vous le tuez.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire une pièce sur la rencontre entre Romain Rolland et Malwida von Meysenbug, et qu’espérez-vous transmettre au public à travers cette œuvre ?
Romain Rolland est tout d’abord, avec André Suarès, mon écrivain – et encore plus mon esprit – de cœur. Je travaille d’ailleurs à l’édition de la gigantesque correspondance inédite entre les deux amis.
Au-delà, l’idée est née de manière étonnante et émouvante. Alors que se donnait ma précédente pièce, Dernières notes, qui relatait la dernière soirée de Romain Rolland auprès de son Beethoven bien-aimé, un ami chinois m’a mis sur la piste de Malwida. « Connais-tu leur correspondance ? « m’a-t-il demandé. Comme toute personne familière de Wagner et de Liszt, je connaissais cette femme de nom mais je ne l’identifiais pas. Pour lui, c’était différent ; elle l’avait aidé à vivre pendant la sinistre Révolution culturelle. Un jour, à Pékin, il devait avoir douze ou treize ans, il avait trouvé dans une poubelle un petit ouvrage à moitié déchiré, sans couverture. Il n’y avait à cela rien d’étonnant : c’était alors en Chine le sort qu’on réservait aux livres ; il fallait qu’il n’en reste plus qu’un : le “Petit livre rouge de Mao”, but qui serait bientôt atteint. Ce livre abandonné, c’était la traduction chinoise de la première édition, de 1948, d’un choix de lettres de Romain Rolland à Malwida von Meysenbug, un ouvrage qui n’était alors pas loin, en France, d’être à son tour oublié. Cet ami m’a alors avoué qu’il avait conservé cette correspondance, en la cachant sous son oreiller, pendant toute la Révolution culturelle. L’idéalisme de Malwida von Meysenbug lui a donné espoir et montré le pouvoir de l’art de la beauté. Le souvenir de ce livre ne l’a jamais quitté.
C’est ainsi qu’a germé l’idée de cette seconde pièce. J’ai alors lu tout ce que je pouvais sur Malwida et j’ai trouvé dans sa relation avec Romain Rolland nombre de thèmes qui me tiennent à cœur : la recherche de la Beauté et de la vérité artistique, la capacité qu’a un Idéal à s’incarner s’il accepte le combat, l’idée qu’un monde de l’Esprit doit tenir tête aux forces matérielles, la quête d’une liberté eclairée
Comment avez-vous approché la reconstitution historique et émotionnelle de la relation entre Romain Rolland et Malwida von Meysenbug dans la pièce “Malwida”?
La reconstitution historique n’est pas difficile car de 1889, année au cours de laquelle ils font connaissance jusqu’en 1903, année du décès de Malwida, les deux amis s’écrivent environ une fois par semaine. De leurs échanges restent environ 1 500 lettres que Romain Rolland a déposées pour l’essentiel aux archives Goethe de Weimar. Leur relation est de ce point de vue documentée au-delà de ce qu’un auteur peut rêver. On n’ignore rien de leurs faits, gestes et surtout pensées.
Cela permet-il pour autant de comprendre la relation incroyable qui unit ces deux êtres et que Romain Rolland, au soir de sa vie, alors au faîte de sa gloire planétaire, résumera d’une formule si émouvante : « L’ami qui vous comprend, vous crée. En ce sens, j’ai été créé par Malwida » ?
On fait en réalité face à un mystère, comme pour les autres relations que Malwida a entretenues, celles avec Wagner ou Nietzsche par exemple. Je pense que la force de cette femme venait de ce qu’elle avait tout vécu ou presque ; à ce titre, elle incarnait un vrai idéal de liberté, non pas un idéal primaire de revendications, mais l’idéal d’une femme qui était allée très loin dans la compréhension des êtres et du monde. A mon avis, elle agissait sur les autres par une forme de métempsychose.
En quoi la figure de Malwida von Meysenbug, souvent méconnue du grand public, vous a-t-elle particulièrement inspiré dans votre travail d’écriture ?
Je suis fascinée par cette femme qui, dans la discrétion – c’est une qualité – a joué un rôle immense pour révéler à eux-mêmes certains des plus grands esprits de la deuxième moitié du XIXe siècle. Dire qu’elle n’a pas de défauts ou de limites serait ridicule, bien sûr, mais qui n’en a pas ? Au-delà de tout ce que nous avons déjà dit sur elle, j’aime sa capacité à parler à tous (bien qu’amie des plus grands révolutionnaires de son époque, et révolutionnaire elle-même, elle n’a jamais rompu avec son milieu d’origine), sa simplicité, son indifférence aux questions matérielles, sa capacité à être à la fois une des grandes idéalistes de son temps en même temps qu’une femme pratique, pour reprendre un de ses termes, qui sait transformer des rêves en réalité. Et puis bien sûr, elle a été une des premières grandes féministes
Comment avez-vous collaboré avec François Michonneau et les acteurs, comme Bérengère Dautun et Ilyès Bouyenzar, pour donner vie à ces personnages historiques sur scène? Comment s’est fait votre choix ?
Dès que j’ai eu l’idée d’une œuvre autour de Malwida, j’en ai parlé avec Bérengère Dautun. Tout me conduisait à elle : elle était Malwida, même si elle ne le savait pas encore. Elle avait une expérience de la vie, elle portait une lumière en elle, une lumière pas seulement faite d’étoiles mais aussi de souffrances, qui faisait d’elle l’actrice rêvée pour le rôle, au-delà de son expérience théâtrale de plus de six décennies qui lui permet de disposer d’un registre infini. Elle l’a accepté tout de suite et j’en ai été profondément ému.
Alors qu’il nous fallait trouver le comédien (et pianiste car la musique joue un rôle de premier plan dans la pièce !) pour incarner Romain Rolland, Benoît Dugas (qui incarne Gabriel Monod, le grand historien, le mentor de Romain Rolland) m’a présenté Ilyès Bouyenzar. J’ai eu avec lui le même sentiment que Malwida a dû avoir avec Romain Rolland : celui qu’il ira très loin.
Enfin, François Michonneau avait déjà mis en scène avec beaucoup de talent Dernières notes. Il s’imposait pour ce nouvel épisode rollandien. Il y a mis un talent et une énergie formidables. Tous ensemble, nous avons étroitement travaillé. Je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas : au milieu, il y a un formidable espace de liberté quand on a la chance de travailler avec d’aussi grands artistes
Votre pièce explore des thèmes d’universalisme et de quête de vérité. Comment ces idéaux se reflètent-ils dans notre société actuelle, et quelle résonance espérez-vous qu’ils trouvent auprès du public contemporain?
Soyons clairs: je ne vois pas où ils se reflètent, et c’est pour cela que j’ai écrit cette pièce ! Mais j’insiste sur un point : considérer ces thèmes comme relevant d’un monde éthéré serait une grave erreur. Le plus remarquable dans l’idéalisme revendiqué de Malwida et Romain Rolland est en effet qu’il s’incarne et s’accomplit dans des créations concrètes et grandioses prouvant avec éclat que les êtres les plus pratiques ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Et il montre à nouveau tout ce qui fait défaut aujourd’hui : l’absence d’idéalistes au sens de Malwida von Meysenbug et de Romain Rolland, qui pensent et agissent en véritables universalistes, contribue à ce que le monde soit ce qu’il est : un espace largement dévolu à l’économie, qui sans nécessairement le souhaiter, a comblé un vide abyssal. Mon projet maintenant est de transformer cette pièce en film, tant ces idées me tiennent à cœur et je rejette cette esthétique de la laideur, de la violence gratuite et de la politique adolescente qui peuplent souvent nos Théâtres et nos écrans…
Malwida
Théâtre Hebertot
À partir du 05 septembre à 19h00
Auteur : Michel Mollard
Artistes : Bérengère Dautun, Benoît Dugas, Ilyès Bouyenzar
Metteur en scène : François Michonneau
Résumé :
Une rencontre inouïe, un moment de grâce inoubliable. Lorsqu’à l’été 1889, chez son maître et mentor Gabriel Monod, Romain Rolland fait la connaissance de Malwida von Meysenbug de cinquante ans son aînée, il n’imagine pas que cette rencontre va bouleverser sa vie.
Aristocrate émancipée de son milieu d’origine, Malwida est devenue une apôtre de la cause féministe et a épousé les idéaux démocratiques de son temps, quitte à en payer le prix. Personnalité remarquable, elle exerce une influence sur les esprits les plus élevés de l’époque : Mazzini, Michelet, Wagner, Liszt, Nietzsche, Lou von Salomé, Suarès et bien d’autres. Pendant quatorze ans, de 1889 à sa mort, elle et Romain Rolland, qui traverse des années difficiles et connait de nombreux échecs, vont entretenir une correspondance inouïe de plus de mille cinq cents lettres. Malwida le révèle à lui-même. Il deviendra prix Nobel de littérature. Romain Rolland lui rendra hommage en des termes magnifiques : “L’ami qui vous comprend, vous crée. En ce sens, j’ai été créé par Malwida”. Après le succès de Dernières notes (Studio Hébertot, automne 2023) qui relatait la dernière soirée de Romain Rolland au crépuscule de son idéalisme, Malwida fait revivre une femme d’exception et le grand écrivain et musicien à l’aube d’une oeuvre amenée à faire le tour du monde
https://youtu.be/IeJS61HdfxA?feature=shared