L’écrivain truculent, l’acteur de composition, le philosophe de la langue populaire est mort mercredi 21 mars à Lille, à 77 ans, loin de Lagleygeolle, son village de Corrèze.
Il espérait que la mort viendrait le saisir chez lui, à Lagleygeolle, son village natal de Corrèze, «le plus tard possible». Claude Duneton, 77 ans a rendu son dernier soupir, mercredi 21, sur un lit d’hôpital, à Lille. Follement attachant, Claude Duneton était la voix rocailleuse, sourde, au rire clair, d’un peuple négligé et
d’une classe méprisée dont il avait voulu s’extraire sans jamais les renier. Ses livres l’avaient rendu populaire : Parler croquant, Je suis comme une truie qui doute, L’Anti-Manuel de français, La Puce à l’oreille, Petit Louis dit XIV, Le Diable sans porte, Rires d’homme entre deux pluies, Le Bouquet des expressions imagées, une volumineuse Histoire de la chanson française, une quinzaine de pièces de théâtre (certaines écrites en anglais). Acteur, chansonnier de répertoire, traducteur de Shakespeare, philologue estimé qui tenait une chronique érudite et savoureuse
(« Au plaisir des mots ») dans le Figaro littéraire… il laisse aussi un chef-d’oeuvre bouleversant : Le Monument, paru en 2003, où il retraçait la vie des 28 poilus de son village dont les noms étaient figés à jamais sur la pierre grise. Hanté par le destin tragique de ces « tourlourous », fauchés en pleine jeunesse, sous le soleil noir d’un conflit absurde, iI avait accompli ce que réclamait le philosophe Alain : « Je voudrais entendre les morts parler de la guerre ! »
L’enfer d’une enfance paysanne
Claude Duneton avait eu plusieurs vies. Il avait évoqué l’enfer de son enfance paysanne, sous l’Occupation, entre un père faible, marqué par Verdun,et une mère « mauvaise avec tout le monde ». De la rudesse de ses origines, Claude Duneton écrivait : « Le quotidien de l’époque possédait au plus haut point la torture du tout-à-bras baignant dans l’huile de coude. » Né le dimanche de Pâques 1935, fils de paysans, apprenti ajusteur à Brive, retiré de l’école par manque d’argent, il entre en pension, en cinquième, à l’âge de… 16 ans.
« J’ai commencé mes études comme on prend l’autobus, racontait-il. Prêt à apprendre tout ce qu’on voudrait. Je me sentais comme un évadé qui trace. J’avais fui mon destin. Je n’avais qu’une trouille : celle de me faire rattraper. » Il saute directement en troisième, finit premier de la classe. Passe brillamment le concours
de la SNCF pour devenir agent d’exploitation dans les bureaux à Rocamadour. Son professeur de français lui conseille d’entrer à l’école normale de Tulle. Il en sortira major de sa promotion, intégrera même Henri-IV, prestigieux lycée de Paris, pour tenter Normale-Sup ! Au mitan des années 1950, que voulait-il devenir ?
« Instituteur public, avec la considération de tout un village et la vie luxueuse avec l’eau courante. Ce que je visais, c’était l’eau courante, à cause de dix ans de seau, de citerne, de godasses mouillées, de perche échappée et de la glace, l’hiver, qu’il fallait casser. »
Alchimiste de la mélancolie
Ce timide maladif avait aussi découvert le théâtre. Un autre monde et d’autres horizons. De 1960 à 1972, Claude Duneton enseigne l’anglais à reculons et
n’arrive pas à en sortir, par peur d’avoir à rembourser l’École normale… Prof en banlieue sud, il connaît un début de succès théâtral à Paris en 1967, mais la tension intérieure dérive en névrose. Il ira s’allonger pendant cinq ans sur le divan d’un psychanalyste. « Le moteur chauffait. J’étais comme une bagnole qui avance avec les freins bloqués. » Il lâche l’enseignement. Les livres, les rôles, les traductions s’enchaînent. Le personnage Duneton se détache du paysage littéraire, avec sa silhouette trapue, ses fripes d’occasion, sa tignasse en râteau, son style poétique et gouailleur, encyclopédiste truculent, avide de précision. Et sa voix au grain rauque. Alchimiste de la mélancolie, Claude Duneton aura toujours su transformer le plomb de sa tristesse en or de la rigolade, muer sa détresse et sa neurasthénie en occasions de se boyauter, métamorphoser la dèche en traits d’esprit. Derrière sa langue canaille et son humour abrasif perçait sa compassion pour l’humanité. Passer du temps, se promener avec lui sur les hauteurs de Lagleygeolle, l’écouter raconter sa vie dans la maison modeste de ses grands-parents, face à la cheminée où mijotait en permanence une soupe à partager, ou dans le réduit de son appartement parisien du XVe arrondissement, était un plaisir irrésistible. Mais, par moments, sa vulnérabilité affleurait dans le regard.
Claude Duneton, accompagné par ses quatre enfants, ira bientôt dormir, au terme de son dernier voyage, sur les hauts plateaux corréziens dont il écrivait : « Nos croix ont des taches brunes et des taches claires comme la peau des vieillards. Elles se dressent, sèches et nues devant les champs, en sentinelles des civilisations mortes.» Imaginant sa fin et son repos éternel à Lagleygeolle, en terre occitane, Claude Duneton avait exprimé un souhait : « Que quelqu’un sache encore me regretter d’une parole fraternelle : lou pauré téchou ! » Lou pauré téchou : le pauvre petit…
LA CHIENNE DE VIE
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