Elles, la nouvelle création théâtrale de Jean-Bernard Philippot, s’érige en une fresque puissante et bouleversante de la condition féminine contemporaine. Avec une audace rare et une sensibilité exquise, cette œuvre transcende les simples représentations scéniques pour plonger le spectateur dans une réflexion profonde et douloureuse sur les violences insidieuses faites aux femmes.
Une Scénographie Épurée, Symbolisme Sublime
La morgue, lieu unique de cette tragédie moderne, devient le théâtre d’une intimité brutale et poignante. Les deux brancards, recouverts de draps immaculés, métaphorisent à la fois l’innocence perdue et la froideur des destinées brisées. Les tulles transparents, mobiles et éthérés, évoquent les voiles de la mémoire, se déployant et se refermant au gré des souffrances dévoilées. Le métronome, maître du temps, ponctue cette chorégraphie de vies fauchées avec une régularité implacable, rappelant la caducité inexorable de l’existence.
Personnages Aux Destinées Tragiques
Les trois protagonistes, Mathilde, Doudou la Rousse et Adan, incarnent avec une intensité rare des archétypes de la souffrance féminine. Mathilde, écrasée par la tyrannie psychologique de sa supérieure, nous renvoie à l’absurdité d’une vie professionnelle déshumanisée. Doudou la Rousse, artiste asservie par l’homme qui devrait l’élever, personnifie la tragédie de l’abus au sein de la création artistique. Adan, réfugiée afghane, devient le visage de l’exil et de la quête désespérée d’une humanité à reconstruire. Chacune de ces femmes, interprétée avec une virtuosité saisissante par Ariane von Berendt, Marine Biton Chrysostome et Guillemette Beaury, apporte une dimension supplémentaire à ce triptyque des douleurs contemporaines
Musique et Silences : Une Symphonie de Larmes
La musique, omniprésente et exécutée par les comédiennes elles-mêmes, se fait le relais des émotions les plus indicibles. Les trois accordéons, instruments de la nostalgie et de la mélancolie, deviennent les voix d’âmes égarées dans les méandres de leurs souffrances. Les silences, tout aussi éloquents, ponctuent ce dialogue de l’invisible, amplifiant l’impact des mots murmurés, des cris étouffés, des soupirs d’abandon.
Un Texte Inspiré par le Réel
Fruit de témoignages recueillis auprès des victimes et de ceux qui luttent contre ces violences, le texte de Philippot est une œuvre d’une authenticité déchirante. Il capte avec une précision chirurgicale la complexité des émotions, la subtilité des violences et la profondeur des traumas. Chaque mot, chaque phrase est un coup de scalpel dans la chair vive des injustices subies. L’écriture, à la fois poétique et brutale, sublime l’horreur pour en extraire une beauté tragique et universelle
Conclusion : Une Catharsis Collective
“Elles” n’est pas simplement une pièce de théâtre ; c’est une expérience cathartique, un appel à la conscience collective. Elle force le spectateur à confronter des réalités souvent occultées, à ressentir la détresse d’autrui et, ultimement, à s’interroger sur son propre rôle dans la perpétuation ou la dénonciation de ces violences. En nous dévoilant les vies brisées de ces femmes, Jean-Bernard Philippot nous invite à une réflexion profonde sur la résilience, la dignité et la nécessaire solidarité humaine. Cette œuvre magistrale, soutenue par une mise en scène épurée mais hautement symbolique, des interprétations d’une intensité rare et une musique poignante, est un hommage bouleversant à toutes celles qui, dans l’ombre, continuent de se battre contre l’inacceptable. “Elles” est un cri d’alarme, un poème en actes, un manifeste pour la justice et l’humanité.
RÉSUMÉ :
Résumé de “Elles” :
“Elles” est une pièce de théâtre créée par Jean-Bernard Philippot, explorant les violences faites aux femmes. Ce spectacle, le quatrième volet du projet de Philippot sur le thème de la résistance, met en scène trois femmes dans un huis-clos situé dans une morgue.
Synopsis :
Mathilde, Doudou la Rousse et Adan sont les protagonistes :
– Mathilde : Subit des violences psychologiques et du harcèlement au travail.
– Doudou la Rousse : Musicienne victime d’abus par le chanteur de son groupe.
– Adan : Réfugiée afghane, travaille comme femme de ménage et essaie de se reconstruire après avoir fui son pays. Leurs histoires sont racontées à travers un mélange de théâtre, musique en direct et projections vidéo, avec une scénographie minimaliste centrée autour de deux brancards.
Processus de création :
La pièce s’est développée à partir de témoignages recueillis par Philippot auprès de victimes de violences et de professionnels. Elle a été écrite entre 2021 et 2023 et créée lors du festival d’Avignon en 2024.
Mise en scène :
Trois comédiennes/musiciennes (Ariane von Berendt, Marine Biton Chrysostome et Guillemette Beaury) incarnent les personnages, utilisant des accordéons et des flûtes pour enrichir la narration.
Soutien et Tournée :
La pièce est soutenue par plusieurs institutions et sera en tournée en novembre 2024, notamment au Centre Culturel La Spirale de Fismes et à Soissons.
“Elles” est une œuvre poignante qui met en lumière les diverses formes de violence subies par les femmes, tout en célébrant leur résilience et leur lutte pour survivre et se reconstruire.