Je viens d’un pays où le cri des femmes est souvent assourdissant, semblable à une balle tirée lors d’un crime passionnel. Il est odieusement justifié par l’amour, la protection et le respect, rarement par le mépris. Je viens d’un pays où les violences prennent racine dans l’injustice et la discrimination, mais aussi la banalisation.. Elles meurent en silence lorsque la loi ne les protège pas. Qu’elles soient liées au mariage, à l’héritage, toutes justifiées par la loi. Les violences ne sont pas toujours des bleus dissimulés derrière la fatalité écrite par les hommes. Les violences sont toutes les frustrations physiques et morales déversées sur les femmes …Je dédie mon article à toutes celles dont la parole est muselée par un système patriarcal nauséabond, je dédie mon article à toutes ces résistantes dont le courage ferait pâlir la terreur, mon article est aussi un hommage à celle dont le silence, hélas est devenu l’éternité …
Dans un monde où le silence étouffe souvent les cris des victimes, où les coups se fondent dans la banalité du quotidien, “Elles”, la nouvelle création de Jean-Bernard Philippot, émerge comme un manifeste artistique, poignant et si nécessaire… Encore et encore. La pièce, qui sera jouée en tournée dès novembre 2024, aborde de front un sujet brûlant, celui des violences faites aux femmes. Cette œuvre s’inscrit dans la continuité du projet artistique de Philippot, entamé en 2019, autour du thème de la résistance, mais cette fois-ci, c’est une résistance intime, douloureuse et trop souvent invisible qu’il choisit de mettre en lumière.
Trois femmes, trois vies, un seul cri
Sur scène, trois femmes se partagent la parole et la douleur. Mathilde, une employée malmenée par sa supérieure ; Doudou la Rousse, une musicienne victime des abus de pouvoir du chanteur de son groupe ; et Adan, une réfugiée afghane ayant tout perdu, hantée par l’exil forcé de Kaboul. Ces trois voix s’entrelacent dans un huis clos oppressant, un espace hors du temps et des conventions : la morgue. L’idée de situer l’action dans une morgue, avec ses brancards froids et ses draps blancs immaculés, n’est vraisemblablement pas anodine. Il est un lieu de transition, entre la vie et la mort, entre le silence et la parole retrouvée. Les femmes, bien qu’éteintes dans la chair, trouvent encore le courage de partager leur histoire. Et c’est Adan, bien vivante, qui devient témoin de ces récits et messagère de leurs vies brisées. Un symbole fort de survie, d’espoir, de mémoire.
Un travail documentaire au service du théâtre
Philippot n’a pas écrit ce texte en s’appuyant uniquement sur son imagination. Il a mené un véritable travail de collecte de témoignages auprès de femmes victimes de violences, mais aussi auprès de spécialistes : services de santé, judiciaires, et militants de l’égalité. Le spectacle tire ainsi sa force d’une réalité crue, brutale. On y retrouve des chiffres glaçants, des récits terrifiants, mais surtout des destins universels. À travers les histoires de Mathilde, Doudou et Adan, ce sont des milliers de voix qui résonnent, de femmes anonymes qui, chaque jour, sont confrontées à ces violences multiformes
Isabelle Rome, haute fonctionnaire en charge de l’égalité femmes-hommes et ancienne magistrate, a elle-même contribué à cette réflexion en partageant ses expériences sur le terrain judiciaire. Ses paroles résonnent particulièrement fort dans le contexte de ce spectacle : “Les grosses affaires nationales ont commencé à libérer une certaine parole, et les femmes s’expriment de plus en plus.” Une vérité que “Elles” porte à la scène, en la transformant en une œuvre à la fois bouleversante et porteuse d’espoir.
Le pouvoir de la musique pour dire l’indicible
Ce qui rend “Elles” unique, c’est aussi l’utilisation de la musique. Trois accordéons, une flûte traversière, accompagnent les trois comédiennes-musiciennes. La musique, bien plus qu’un simple accompagnement, devient le fil conducteur de cette histoire où chaque note raconte une souffrance, un espoir. Les accordéons pleurent, crient, respirent avec les comédiennes, faisant écho aux multiples facettes des violences subies par les personnages. Les objets du quotidien, comme les draps ou les tulles, deviennent des accessoires symboliques, des témoins silencieux de ces vies volées.
Un message universel et malheureusement intemporel
À travers cette pièce, Jean-Bernard Philippot rappelle que les violences faites aux femmes ne sont ni exceptionnelles, ni lointaines. Elles sont partout, elles transcendent les frontières sociales, culturelles, géographiques. Que ce soit Mathilde, Doudou ou Adan, toutes les femmes peuvent être touchées, de près ou de loin, par ce fléau mortifère
Mais “Elles” n’est pas qu’un constat tragique. C’est aussi une invitation à la résistance, à l’action. Comme le souligne Nadine Lombardi, déléguée départementale aux droits des femmes : “On a tous un devoir de citoyen d’en parler.” C’est là que réside l’essence même du spectacle : faire entendre ces voix pour que le silence ne soit plus jamais une option
Un cri nécessaire, salutaire: Un spectacle à ne pas rater
En choisissant d’aborder ce sujet avec une telle finesse, Jean-Bernard Philippot nous offre une œuvre aussi artistique que militante. “Elles” est plus qu’une pièce de théâtre, c’est un cri de ralliement, une clameur pour toutes celles qui ont trop longtemps été réduites au silence. Un spectacle à la fois bouleversant et salutaire, qui, on l’espère, touchera profondément tous ceux qui auront la chance d’y assister
Rendez-vous donc à partir de novembre 2024 pour découvrir cette création poignante, un véritable plaidoyer en faveur des droits des femmes et contre la violence qui leur est faite. Un spectacle nécessaire, à voir absolument
En savoir plus sur le spectacle :
www.compagnienomades.net/elles
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