Rome, 1923, dans une chambre d’hôtel, Freud dort. Une femme de chambre entre. C’est Marie, 23 ans, jolie et pétillante. Elle le réveille. Marie a déjà rencontré Freud à l’âge de 10 ans et depuis, le prend pour un hypnotiseur de cirque ! Dans cette comédie menée tambour battant, l’émotion surgit entre les rires. De quiproquos en quiproquos, les deux personnages vont peu à peu s’ouvrir l’un à l’autre, révélant leurs secrets les plus intimes.
Leonardo de LA FUENTE – Auteur
Quand on pense à Freud, on l’imagine dans son cabinet chez lui, Bergasse 19 à Vienne, ou à Paris, dans sa jeunesse, en train de suivre les cours de Charcot à la Salpêtrière. On ne l’imagine certainement pas à Rome, se promenant dans le Forum ou admirant le Moïse de Michel-Ange à la Basilique Saint-Pierre-aux-Liens.
Et pourtant, Freud était un passionné de Rome. Dès qu’il pouvait, il quittait Vienne pour courir à l’ombre des églises et des monuments romains et aussi pour enrichir sa collection d’objets provenant de l’Antiquité : des statuettes, des bas- reliefs, surtout des copies de celui de Gradiva dont l’original se trouve dans les musées du Vatican. Comme beaucoup, j’ai découvert tardivement et avec étonnement cette passion de Freud pour Rome.
Cette surprise a provoqué instantanément un déclic car tout oppose Freud à Rome, l’esprit analytique et cérébral de Freud à celui, désabusé et baroque des Romains.
En effet, je suis convaincu que chaque culture nous différencie même dans la façon de raisonner, l’humour étant la face la plus visible de cette différence, et que chaque langue met en avant certains concepts qui ne priment pas dans une autre langue. C’est pourquoi dans ma pièce, les quiproquos ne sont pas dus à des situations ou à des incompréhensions mais ce sont des quiproquos de langage et de raisonnement. En renforçant l’équidistance générationnelle et sociale entre les deux personnages, j’ai voulu aussi démontrer que le mode opératoire de la pensée est différent non seulement entre les cultures, mais entre chaque génération et chaque classe sociale
Naturellement, pour que la démonstration soit percutante, il fallait être le plus léger possible. Aussi, apprendre que le dernier voyage de Freud à Rome a été avec sa fille Anna, la seule de ses six enfants à reprendre le flambeau de son père, et de plus en 1923, juste après la prise du pouvoir par les fascistes, année où commence donc la montée des périls qui débouchera sur la Seconde Guerre mondiale, année également où Freud est tenaillé par des insoutenables douleurs à la mâchoire dues à une tumeur qu’il découvrira à son retour de Rome, tant d’éléments qui m’ont définitivement poussé à écrire la pièce. Avant de commencer le travail d’écriture, en rassemblant tous les éléments d’information, lisant les lettres qu’il avait envoyées à sa famille lors de ses différents voyages à Rome, les passages dans ses livres où il parle de la ville éternelle, force a été de constater à quel point l’impact de Rome a été puissant dans l’imaginaire et la pensée de Freud. C’est à Rome qu’il a pu voir, de ses propres yeux, la réalité de l’inconscient en voyant combien de vestiges du passé sont constamment déterrés et combien encore restent certainement enfouis en attente d’être, à leur tour, désensevelis un jour.
C’est à Rome qu’il a été foudroyé par le Moïse de Michel-Ange qui lui a inspiré son livre sur le monothéisme, livre sur lequel il a travaillé tant d’années au point de devenir sa dernière œuvre. Il lui fallait revenir régulièrement à la ville éternelle pour retrouver aussi « celle qui marche en avant », la Gradiva, représentée dans un magnifique bas-relief qui date de deux siècles avant Jésus-Christ et dont une copie était accrochée, en évidence, sur les murs de son cabinet à Vienne. La Gradiva, cette belle jeune femme qui marche et qui tient sa longue robe par une main au niveau des flancs, provoquant à son drapé des plis sinueux qui soulignent la sensualité et la légèreté de sa démarche, la faisant apparaître presque éthérée, comme une vision rêvée, un fantasme surgi de l’inconscient de ceux qui la regardent. Alors comment ne pas vouloir confronter cette jeune romaine éternelle, même si c’est sous les traits d’une femme de chambre, à l’inventeur de l’inconscient?
Alain SACHS – Metteur en scène
Lorsque l’on est metteur en scène, il est très rare d’être à ce point surpris à la lecture d’une nouvelle pièce. Plus encore que surpris. Cette première œuvre de Leonardo de la Fuente m’a ébloui, transporté, transpercé.
La rencontre entre deux figures historiques pour relater un destin ou une époque est un genre usuel au théâtre. Mais ici il s’agit de toute autre chose. C’est à une femme de chambre d’un grand hôtel de luxe, en plein cœur de Rome, que l’illustre Freud va être confronté. Une rencontre totalement improbable. L’art du romanesque pour encore mieux cerner et révéler toute la complexité d’un homme. Tous les secrets d’une vie. Et nul besoin d’être féru de psychanalyse pour apprécier ce rendez-vous au sommet entre deux êtres que tout semble séparer. Dépaysement, humour et émotion garantis, qui n’ont pas échappé à l’acuité de François Berléand quand nous l’avons contacté. Celui-ci nous ayant juste demandé de l’attendre deux ans, le temps d’honorer tous ses autres engagements. Pour ma part, j’ai immédiatement saisi combien ce rôle allait pouvoir offrir à ce comédien que nous aimons tant, l’occasion d’exprimer dans un seul et même spectacle toutes les facettes de son immense créativité.
Avec une vraie situation pleine de rebondissements entre deux personnages à parfaite égalité. Ce qui sans nul doute va également permettre la révélation à un très large public du jeune et éblouissant talent de Nassima Benchicou, sélectionnée au milieu de nombreuses auditions, avec pour seule contrainte de choisir la meilleure. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, entouré des meilleurs collaborateurs qui soient pour donner forme à toutes les richesses théâtrales contenues dans ce texte, je me fais une joie de prendre le spectateur par la main, juste pour l’inviter à effectuer un véritable voyage dans un inconnu aussi ludique que profond.
FREUD ET LA FEMME DE CHAMBRE
Au Théâtre Montparnasse
Du Mardi au Vendredi
Jusqu’au 07 avril 2024
Auteur : Leonardo de la fuente
Artistes : François Berléand, Nassima Benchicou
Metteur en scène : Alain Sachs